Bloc-notes Éco

Le financement obligataire comme facteur de reprise ?

Mise en ligne le 16 Juin 2017
Auteurs : Thomas Grjebine, Urszula Szczerbowicz, Fabien Tripier

 

Billet n°22. Le projet d'union des marchés de capitaux (UMC) préconise de diversifier le financement des entreprises, notamment par des titres de dette en complément des prêts bancaires. Le choix entre instruments d’endettement importe-t-il dans les reprises économiques ? En fait, les entreprises substituent du financement obligataire au financement bancaire en phase de reprise. De plus, les reprises sont plus vigoureuses là où la part du financement obligataire est élevée.

Image Les reprises selon la part du financement obligatoire

Après la crise de 2008-2009 la reprise aux États-Unis a été plus rapide que la reprise dans la zone euro. Certains auteurs suggèrent que l’économie américaine a retrouvé plus rapidement le chemin de la croissance grâce à son système financier qui lui a permis de substituer du financement obligataire au financement bancaire (voir Adrian et al., 2012 ; Becker et Ivashina, 2014). Le financement obligataire est particulièrement important aux États-Unis : la part des obligations représentait déjà plus de 50 % de la dette totale des entreprises dans les années 1950. Après la crise récente, elle est passée de 53 % en 2007 à 69 % en 2015 (graphique 2).

Image Part du financement obligatoire des entreprises non financières avant et après la crise de 2008-2009

Bien que plus faible, le financement obligataire est également important au Royaume-Uni où il a progressé durant la crise, passant de 21 % en 2007 à 27 % en 2015. Dans la zone euro, la part du financement obligataire a augmenté de 9 % à 15 % sur la même période. Bien que cette croissance ait été observée dans presque tous les pays membres, une ’importante hétérogénéité demeure. En 2015 le financement obligataire représentait 31 % de la dette des entreprises en France, 13 % en Italie, 11 % en Allemagne, contre seulement 2 % en Espagne.

Substitution entre les prêts et le financement obligataire pendant les reprises

L’augmentation du financement obligataire dans la dette totale des entreprises n’est pas spécifique à la Grande Récession mais représente une caractéristique régulière du cycle économique. Nos régressions sur données de panel (voir Grjebine et al. 2017) montrent que durant les phases de reprise économique, les entreprises substituent du financement obligataire au financement bancaire.

Le graphique 3a présente les évolutions moyennes du PIB, du financement obligataire et des prêts bancaires en termes réels par rapport à leur valeur au moment du pic d’activité pour 81 récessions dans 23 pays (OCDE et non OCDE) entre 1989 et 2013. Les prêts et les obligations suivent une tendance similaire au cours de l’année précédant le pic, mais divergent fortement pendant la phase de reprise. La croissance cumulée des prêts bancaires sur les deux ans suivant le pic est proche de 1 %, alors que la croissance cumulée de la dette obligataire atteint 20 %. Le graphique 3b présente l’évolution de la part du financement obligataire avant et après le pic. Le changement dans la structure de la dette des entreprises se produit pendant la phase de reprise, et conduit à une augmentation totale de la part obligataire de 15 %.

Image PIB réel et dette des entreprises au cours du cycle

Corrélation positive entre les reprises et le financement obligataire

La substitution de la dette obligataire aux prêts bancaires qui s’opère en période de reprise semble témoigner de la difficulté des banques à satisfaire la demande de crédit des entreprises (voir Becker et Ivashina, 2014). L’accès aux marchés obligataires comme source alternative de financement permettrait d’augmenter les investissements et d’accélérer ainsi la reprise. Dans Grjebine et al. (2017) nous mettons en évidence l’existence d’un lien entre la structure de la dette des entreprises et la vigueur de la reprise. Le graphique 1 présente l’évolution du PIB réel après un pic d’activité, selon que la valeur initiale de la part du financement obligataire est élevée (supérieure à la moyenne, trait plein) ou faible (inférieure à la moyenne, trait pointillé). Au début de la récession, l’évolution est similaire : sur les trois premiers trimestres, les deux courbes sont très proches. Par la suite, les deux courbes divergent.

La reprise commence plus tôt dans les pays où la part du financement obligataire est élevée — en moyenne trois trimestres après le pic, contre six trimestres dans les économies à faible part obligataire — puis l’écart s’accentue. Les économies où la part du financement obligataire est élevée retrouvent leur niveau de PIB d’avant la récession cinq trimestres après le pic, alors que les économies où cette part est faible ne le retrouvent que onze trimestres après le pic. À cette date, le PIB réel des économies où la part du financement obligataire est élevée dépasse de 5 % sa valeur au moment du pic. La relation positive entre la dynamique de reprise et le niveau de la part obligataire initiale existe indépendamment de la nature, financière ou pas, de la crise. Elle est maintenue quand on exclut les États-Unis et la récession de 2008 de l’échantillon. La structure de la dette a également un effet propre quand on prend en compte l’effet de la taille des entreprises, le développement des marchés financiers et la qualité des institutions. 

Vers la diversification des sources de financement dans l’UE ?

Ces analyses sont de nature à soutenir le projet d’Union des Marchés des Capitaux (UMC) visant à approfondir et à intégrer davantage les marchés des capitaux dans les 28 États membres de l’UE. L’une des priorités affichées par la Commission est de réduire la dépendance au crédit bancaire pour assurer le financement de la croissance, en faisant par exemple baisser la taille critique à partir de laquelle les entreprises pourraient avoir accès au financement obligataire, un mode de financement aujourd’hui réservé aux plus grandes entreprises en Europe. La diversification des instruments d’endettement permettrait une meilleure allocation du capital et mobiliserait davantage d'investissements, en appui à d’autres initiatives de l’UMC, telles que le renforcement du financement sur fonds propres et du soutien aux fonds de capital-risque.