Rapport

Livre « Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale »

Mise en ligne le 6 Janvier 2021
Paiement et infrastructures de marche à l'ère digitale couverture

En publiant un livre qui donne de toutes ces questions une vue d’ensemble, la Banque de France a souhaité faire œuvre de pédagogie car les questions relatives aux paiements et aux infrastructures de marché sont au cœur de ses missions principales : la stratégie monétaire, la stabilité financière et les services à l’économie.

Présentation

Les moyens de paiement, ainsi que les infrastructures des marchés financiers (systèmes de paiement, chambres de compensation, systèmes de règlement‑livraison des instruments financiers, référentiels centraux de données) jouent un rôle fondamental dans l’économie. Ils permettent la circulation de la monnaie et des titres et le bon fonctionnement des marchés financiers, de façon sécurisée et au service du financement de l’économie.

Ces systèmes sont encore mal connus du public. En publiant un livre qui donne de toutes ces questions une vue d’ensemble, la Banque de France a souhaité faire œuvre de pédagogie car les questions relatives aux paiements et aux infrastructures de marché sont au cœur de ses missions principales : la stratégie monétaire, la stabilité financière et les services à l’économie.

Ce livre s’ouvre en  examinant les mécanismes de la création monétaire, enchaîne avec les moyens de paiement, les instruments financiers, les systèmes de paiement et les autres infrastructures des marches financiers, se prolonge par l’analyse des risques dans les infrastructures et de leur surveillance, celle de leur modèle économique, et se referme en abordant les innovations.

1. La monnaie

L’approche la plus classique de la monnaie consiste à la définir par ses fonctions. La monnaie ne se résume toutefois pas à ce qu’elle fait, elle est aussi une institution s’appuyant, en son centre, sur la confiance, ce qui amène à s’interroger sur la nature de la monnaie (1). Elle s’inscrit dans des formes, dont l’évolution historique va vers une dématérialisation croissante (2). Enfin, sa création, qui est endogène, repose sur un partage des rôles et des fonctions entre banque centrale et banques commerciales, selon une architecture hiérarchisée (3).

2. Les moyens et les instruments de paiement

II convient de procéder, en introduction de ce chapitre, à une clarification concernant l’utilisation des expressions "moyens de paiement", "instruments de paiement" et "monnaie". Ainsi, une confusion est d’abord souvent faite entre la monnaie et les instruments de paiement qui servent à l’échanger. Cette confusion prend notamment sa source dans l’utilisation quotidienne que nous faisons de la monnaie fiduciaire, à savoir les billets et les pièces. Les billets et les pièces présentent en effet la particularité d’être à la fois de la monnaie (réserve de valeur, unité de compte et support de transactions commerciales) et des instruments de paiement (supports permettant l’échange de la valeur), ce qui n’est pas le cas des autres instruments de paiement (cartes, chèques, virements, prélèvements, etc.). Cette caractéristique propre à la monnaie fiduciaire ne doit donc pas mener à assimiler ces deux éléments. La différence entre les expressions "moyens de paiement" et "instruments de paiement" est, elle, plutôt d’ordre terminologique : l’appellation "moyen de paiement" est couramment utilisée de manière large pour désigner, sans distinction, à la fois les instruments de paiement (billets et pièces, cartes, chèques, virements, prélèvements, etc.) et la monnaie (monnaie fiduciaire ou monnaie scripturale, c’est-à-dire avoirs en compte). Dans la suite de ce chapitre, le terme "moyen de paiement" sera utilisé de préférence à "instrument de paiement", tandis que l’expression "monnaie fiduciaire" sera généralement utilisée pour désigner les billets et les pièces, eu égard à la nature spécifique de ceux-ci.

Concernant la dynamique de développement des divers moyens de paiement, on assiste à des évolutions assez rapides, marquées par la décroissance de l’usage des moyens de paiement non dématérialisés comme le chèque et la monnaie fiduciaire au profit des moyens de paiement électroniques tels que la carte ou le virement, ainsi qu’à l’apparition de nouvelles solutions de paiement favorisées par la digitalisation de l’économie. Le présent chapitre vise à éclairer ces différentes tendances.

3. La sécurité des moyens de paiement

Le présent chapitre vise à décrire les différents enjeux en matière de sécurité des moyens de paiement et les dispositifs mis en place pour déjouer les tentatives de fraude toujours plus complexes. En effet, le développement des moyens de paiement électroniques est étroitement lié au développement des technologies de l’information et de la communication. Les innovations technologiques entraînent en parallèle une sophistication accrue des techniques de fraude, qui rend nécessaire une mise à niveau régulière des dispositifs de sécurité des systèmes attachés aux moyens de paiement.

4. L’économie des moyens de paiement

Les moyens de paiement jouent un rôle d’intermédiaire des échanges et constituent à ce titre un rouage essentiel de nos économies modernes. Pour s’en convaincre, il suffit d’imaginer un monde où il n’existerait pas de moyens de paiement communément acceptés par l’ensemble des agents économiques. Une telle situation impliquerait des coûts importants pour les deux parties. La mise à disposition à l’ensemble des agents économiques de moyens de paiement standardisés, affichant des réseaux d’acceptation étendus et un niveau de sécurité satisfaisant, permet de surmonter ces difficultés et de grandement fluidifier les échanges commerciaux.

Malgré cette fonction primordiale, le rôle joué par les moyens de paiement dans l’économie reste peu connu du grand public. Le présent chapitre vise à illustrer les relations qui existent entre les moyens de paiement et la sphère économique. Dans un premier temps, il s’attache à expliciter les liens entre les moyens de paiement et l’activité économique, avec une attention particulière portée aux coûts pour la collectivité des différents moyens de paiement. Dans un deuxième temps, il s’intéresse plus directement aux particularités du marché des moyens de paiement, en présentant les déterminants de la demande des moyens de paiement et en apportant un éclairage sur les spécificités de son organisation. Enfin, il conclut en décrivant les différentes carences de ce marché, qui légitiment l’intervention des autorités publiques en vue d’en assurer le bon fonctionnement.

5. Instruments financiers, marchés financiers et infrastructures des marchés financiers

Pour être bien appréhendés, la place et le rôle des infrastructures des marchés financiers nécessitent d’être abordés dans la perspective plus large de l’écosystème financier. Les infrastructures des marchés financiers, comme les systèmes de paiement, les contreparties centrales (CCP) ou les dépositaires centraux de titres (CSD) et les systèmes de règlement‑livraison (SSS), jouent un rôle clé dans l’échange des instruments financiers qui soutiennent le financement de l’économie. En effet, les infrastructures des marchés financiers traitent non seulement les flux de paiement, mais aussi les flux de titres, selon des combinaisons variant en fonction des instruments financiers

 Après la description dans les quatre premiers chapitres des éléments relatifs à la monnaie et aux paiements, ce chapitre présente les principaux concepts afférents aux instruments financiers et aux infrastructures de marchés qui les traitent, en introduction aux chapitres 6 à 16 qui s’attachent pour leur part au fonctionnement des différentes infrastructures.

Le présent chapitre dresse ainsi un panorama synthétique des principaux instruments financiers et du paysage des marchés dans lesquels ils sont échangés ; il décrit les différentes étapes de traitement d’un instrument financier, depuis l’émission jusqu’au règlement‑livraison. Il présente enfin les principaux concepts relatifs aux infrastructures des marchés financiers, les acteurs de ces infrastructures et les principes juridiques sur lesquels repose le fonctionnement de ces entités. Les infrastructures traitant des instruments financiers sont abordées de manière détaillée aux chapitres 11 (CCP), 12 (CSD), 13 (SSS) et 14 (TARGET2 Securities – T2S).

6. Circuits et systèmes de paiement : typologie

Un paiement est un transfert d’actif monétaire qui permet d’éteindre une dette. Selon les cas de figure, plusieurs circuits d’échange peuvent être utilisés pour effectuer un tel transfert. Il peut s’agir d’un circuit intrabancaire ou d’un circuit interbancaire, ce dernier pouvant lui-même prendre plusieurs formes : il peut être bilatéral (correspondent banking), multilatéral (recours à un système de paiement) ou encore combiner les deux (correspondent banking + recours à un système de paiement).

7. TARGET2, le RTGS de l’Eurosystème

Parmi les systèmes de règlement brut en temps réel (RTGS) des grandes zones monétaires mondiales, celui de la zone euro, TARGET2, présente une bonne illustration des principales caractéristiques présentées au chapitre précédent.

TARGET2 est le système de règlement brut en temps réel détenu et géré par l’Eurosystème. Il s’agit de la deuxième génération, mise en œuvre en 2007-2008, du système TARGET (Trans-European Automated Real-time Gross settlement Express Transfer system), lancé en 1999 avec l’instauration de la monnaie unique et conçu pour le règlement en monnaie de banque centrale des paiements de montant élevé en euros.

Les banques centrales qui participent à TARGET2 sont, par principe, celles des pays ayant choisi l’euro comme devise. Néanmoins, les banques centrales d’autres États membres de l’Union européenne (UE) peuvent choisir de participer, pour permettre aux utilisateurs de leur RTGS national d’effectuer des transactions en euros via TARGET2 (ces banques centrales sont dites "connectées").

Depuis février 2016, outre la Banque centrale européenne (BCE), 24 banques centrales nationales (BCN) participent à TARGET2, soit les 19 BCN de la zone euro et 5 BCN "connectées".

8. Les systèmes de paiement de montant élevé à règlement net différé

Ainsi que présenté dans le chapitre 6 (Circuits et systèmes de paiement) tous les pays membres du G20 ont aujourd’hui un système RTGS, à l’exception pour l’instant du Canada. Par ailleurs, aux États‑Unis et dans la zone euro, le paysage des systèmes de paiement de montant élevé (large value payment systems – LVPS) se caractérise par la "cohabitation" entre un RTGS opéré par la banque centrale et un système à règlement net différé (deferred net settlement – DNS) opéré par une entité privée : CHIPS aux États‑Unis, et le système EURO1 en Europe.

Ce chapitre est consacré à ces deux systèmes ainsi qu'au système canadien LVTS. Bien que n’étant pas des RTGS mais des DNS, ces trois systèmes mettent néanmoins en jeu des montants élevés et sont donc considérés comme d’importance systémique pour le bon fonctionnement du système financier. Chacun de ces trois systèmes a donc été amené à mettre en place des solutions spécifiques afin de permettre un règlement se rapprochant le plus possible du temps réel, pour réduire l’exposition au risque de crédit, sans pour autant accentuer trop fortement les besoins de liquidité inhérents à la mise en œuvre d’un système RTGS. On peut donc les qualifier de systèmes « hybrides » (cf. chapitre 6).

9. Les systèmes fonctionnant selon le mode paiement contre paiement

Le présent chapitre traite du règlement en mode paiement contre paiement (Payment versus Payment ou PvP) et, plus précisément, du système CLS (Continuous Linked Settlement) qui permet d'assurer le règlement en mode PvP des transactions de change, actuellement dans 18 devises. Après un rappel de la nécessité de maîtriser le risque de règlement dans les opérations de change (section 1), on présentera le système CLS (sections 2 à 4). La particularité d’un système PvP comme CLS est de régler simultanément les deux "jambes" d’une opération de change.

10. Les systèmes de paiement de détail

Les systèmes de paiement de détail jouent un rôle essentiel dans la sphère économique, dans la mesure où ils règlent les opérations pour la clientèle particulière et les entreprises; ils se caractérisent par le traitement d’opérations de montant peu élevé, mais présentant un volume important. Le paysage européen de ces systèmes a fortement évolué dans la dernière décennie, avec la mise en œuvre des virements et des prélèvements au format européen (SEPA), mais reste relativement fragmenté. Ce paysage connaît de nouvelles évolutions, avec l’arrivée des paiements instantanés. La première partie de ce chapitre présente les enjeux et l’historique des systèmes de paiement de détail, le fonctionnement de ces systèmes et les évolutions passées et en cours. La deuxième partie examine le paysage des systèmes de paiement en Europe. La troisième partie est consacrée aux risques financiers dans les systèmes de paiement de détail. Enfin, la quatrième et dernière partie effectue un focus sur le cadre de surveillance mis en place par l’Eurosystème pour les systèmes de paiement de détail.

11. Les contreparties centrales

Les contreparties centrales (central counterparties ou CCP), sont devenues une pièce maîtresse du paysage des infrastructures des marchés financiers essentiellement depuis le développement du marché des dérivés d’une part et la crise financière de 2008 d’autre part. Une contrepartie centrale assure un rôle très important en s’interposant entre les contreparties à une transaction.

Au plan conceptuel, la notion de contrepartie centrale doit être bien distinguée de celle de chambre de compensation, dont la fonction essentielle est de calculer un solde net à partir d’un ensemble de transactions unitaires (ou "brutes"). L’existence de ces chambres de compensation, qui à l’origine se limitaient à la compensation des flux de paiements, remonte à plus de deux siècles.

Cependant l’évolution de ces infrastructures fait qu’aujourd’hui, dans le domaine des instruments financiers, la grande majorité des chambres de compensation remplissent également le rôle de contrepartie centrale et vice-versa. Ce qui a donc amené l’usage courant à utiliser indifféremment l’un ou l’autre terme pour désigner une infrastructure qui offre les deux services. Dans le présent chapitre, on désignera sous le terme de « CCP » une chambre de compensation qui assure la fonction de contrepartie centrale.

Les CCP jouent un rôle très spécifique dans la chaîne de traitement des titres et autres instruments financiers (y compris les produits dérivés) : elles se substituent au vendeur et à l’acheteur et se trouvent ainsi contrepartie vis-à-vis de chacun d’eux. Elles sont de ce fait au cœur du système de traitement des transactions sur les instruments financiers. Durant la crise financière de 2008, les CCP ont fait preuve d’une forte résilience et ont efficacement mis en œuvre leurs mécanismes de gestion des défauts, empêchant ainsi la contagion à l’ensemble des acteurs financiers.

Le rôle accru qui a été confié aux CCP par les régulateurs depuis cette crise, tout particulièrement s’agissant des produits dérivés, s’est accompagné d’exigences de transparence et de la mise en place d’un cadre international de gestion de leurs risques encore plus rigoureux, qui a été transposé au niveau de l’Union européenne (UE) dans le règlement UE n° 648/2012 du 4 juillet 2012 sur les produits de gré à gré, les contreparties centrales, et les référentiels centraux, dit "EMIR" (European Market Infrastructure Regulation).

Le cadre normatif et réglementaire des CCP est lui-même encore en cours d’évolution. EMIR a ainsi été révisé en deux volets en 2019, l’un relatif aux exigences applicables aux CCP (volet EMIR "REFIT"), l’autre relatif à l’architecture de supervision des CCP de l’UE et de pays tiers (volet "EMIR2"), complété par la rédaction de textes dits de niveau 2 publiés en septembre 2020. Par ailleurs, le règlement européen à venir sur le rétablissement et la résolution des CCP, dont l’objectif est de s’assurer de la continuité des services critiques des CCP après épuisement des ressources préfinancées, a fait l’objet d’un accord politique entre les co-législateurs européens en juillet 2020, et devrait être publié au Journal officiel de l’UE d’ici fin 2020.

12. Les dépositaires centraux de titres

Les dépositaires centraux de titres (en anglais, central securities depositories ou CSD), sont des infrastructures essentielles au bon fonctionnement et à la sécurité des marchés d’instruments financiers. Ils jouent un rôle important dans le maintien de l’intégrité des émissions de titres, en s’assurant que des titres ne puissent pas être créés ou supprimés de façon accidentelle ou frauduleuse. Dans les juridictions ou ce service dit "notarial" est assuré par des acteurs appelés "registrars", le CSD rapproche ses propres données (sur la détention) de celles du registrar (sur l’émission). La fourniture de comptes‑titres au plus haut niveau de la chaîne de détention (c’est‑à‑dire au bénéfice des intermédiaires financiers eux‑mêmes) et la réconciliation au moins quotidienne de ces comptes titres avec les comptes d’émission  permettent de mener à bien cette mission.

Si les Principles for Financial Market Infrastructures (PFMI, cf. chapitre 18) considèrent que les CSD n’exploitent pas nécessairement un système de règlement‑livraison de titres, la réglementation européenne venant transposer les  PFMI crée en revanche un lien très étroit entre CSD et systèmes de règlement‑livraison. En effet, depuis l’entrée en vigueur du règlement européen CSDR (voir section 2 de ce chapitre), une entité doit obligatoirement exploiter un système de règlement‑livraison pour pouvoir être qualifiée de CSD (et offrir également au moins un des deux autres services de base définis par CSDR : service notarial et/ou tenue centralisée de comptes titres au plus haut niveau). De plus, CSDR considère que les CSD sont les seules entités autorisées à exploiter un système de règlement‑livraison. On précisera d’emblée ici que TARGET2 Securities (T2S) qui sera décrit au chapitre 14, n’est pas considéré comme un CSD, ni d’ailleurs formellement comme un système de règlement‑livraison, mais comme une plateforme technique de règlement‑livraison développée et opérée par l’Eurosystème.

Les CSD participent en outre activement à l’intégration des marchés financiers, en particulier par l’établissement de liens entre CSD : ces liens constituent un des moyens pour les acteurs d’un marché donné de pouvoir accéder aux titres émis dans d’autres juridictions. L’établissement d’un lien entre un CSD dit "CSD investisseur" et un autre CSD dit "CSD émetteur" consiste pour le CSD investisseur à devenir participant du CSD émetteur, c’est‑à‑dire en pratique à ouvrir un compte‑titres à son nom auprès du CSD émetteur (il s’agit en général d’un CSD établi dans un autre pays). Le CSD investisseur permet ainsi à ses participants d’accéder à des titres autres que ceux pour lesquels il assure lui‑même la fonction notariale.

13. Les systèmes de règlement de titres

La dématérialisation ou l’immobilisation des titres, ainsi que l’augmentation du volume des échanges de titres, au plan domestique comme au plan international, ont rendu nécessaire la mise en place de systèmes de règlement de titres (ou encore "systèmes de règlement-livraison" - en anglais securities settlement systems ou SSS) qui sont gérés par les dépositaires centraux de titres (en anglais central securities depositories ou CSD, cf. chapitre 12). L’exploitation d’un système de règlement de titres est un des trois "services de base" d’un CSD (au sens du règlement européen CSDR ; cf. chapitre 12), et doit obligatoire[1]ment être fourni pour qu’une entité puisse être qualifiée de CSD (ainsi qu’au moins un des deux autres services de base : service notarial et/ ou service de tenue centralisée de comptes). Les SSS permettent de traiter tous les titres admis auprès d’un CSD, en général aussi bien des actions que des obligations, voire des parts de fonds dans certains CSD.

Les SSS interviennent après la négociation et, le cas échéant. Les SSS interviennent après la négociation et, le cas échéant, la compensation de ces actifs pour permettre l’exécution des contrats correspondants conclus entre les parties, ce qui se traduit par la livraison des titres à l’acheteur, en contrepartie du paiement au vendeur du prix convenu. La sécurité de cette opération nécessite que l’organisation et les règles du SSS apportent la garantie que lors de l’exécution de la transaction, la livraison des titres n’interviendra que si, et seulement si, le paiement correspondant est effectué simultanément, et réciproquement. La mise en œuvre au plan opérationnel de ce principe de conditionnalité, dénommé livraison contre paiement (en anglais, delivery versus payment ou DvP), constitue l’une des missions importantes des SSS.

Les SSS peuvent aussi assurer la livraison de titres sans paiement, on parle alors d’opérations franco de paiement (en anglais free of payment ou FoP). Ces opérations franco sont utilisées notamment dans le cadre d’activités de prêt de titres (qui peuvent également s’effectuer en DvP) ou de mobilisation de collatéral pour sécuriser des opérations de marché ou de crédit des banques centrales. Les SSS sont, comme leur nom l’indique, des "systèmes" et n’ont pas de personnalité morale, contrairement aux CSD qui les exploitent. Ils permettent de transférer les titres et de régler le paiement en espèces correspondant, selon un ensemble de règles contractuellement et légalement opposables. Ils gèrent ainsi les flux de transactions sur titres, qui sont enregistrés sur les comptes titres ouverts sur les livres des CSD.

Les systèmes de règlement-livraison exploités par les CSD ont été conçus pour assurer la fiabilité opérationnelle et juridique de ces transferts de titres, lesquels transferts vont déclencher le changement de propriété au bénéfice des acquéreurs. Par ailleurs, ces systèmes utilisent des standards de messagerie et des processus de traitement normalisés, ce qui permet à tous les intervenants d’utiliser un "langage commun" (des standards de communication internationaux facilitent par ailleurs l’accès aux différents CSD européens, et sont par conséquent désormais exigés par le règlement européen CSDR ; voir chapitre 12).

En raison de la nature des opérations qu’ils traitent, que ce soit pour assurer la bonne fin des opérations négociées sur les marchés financiers ou pour permettre la mobilisation du collatéral (y compris dans le cadre des opérations de politique monétaire), les SSS sont considérés comme des infrastructures de nature systémique.

En Europe, et en particulier dans la zone euro, les systèmes de règlement de titres, qui avaient déjà été largement améliorés dans le courant des années quatre-vingt-dix et deux mille, avant tout pour répondre aux préconisations internationales en la matière, puis progressivement sophistiqués pour améliorer l’efficacité du règlement et la gestion de la liquidité des participants, sont en train de connaître de nouvelles évolutions majeures : entrée en vigueur de CSDR et, pour la majorité d’entre eux, migration vers T2S. Cette plateforme technique de règlement de titres, développée et opérée par l’Eurosystème, est décrite au chapitre suivant (chapitre 14).

14. TARGET2-Securities (T2S)

T2S, plateforme technique de règlement-livraison développée et opérée par l’Eurosystème, apporte une contribution essentielle au processus d'intégration des marchés financiers européens. Cette initiative de l’Eurosystème, lancée en 2008 et mise en production progressivement entre juin 2015 et septembre 2017, a d’ores et déjà permis d’harmoniser un nombre important de caractéristiques du règlement-livraison au sein de la zone euro (et dans les marchés non-euro ayant décidé de rejoindre T2S) et apporte une solution aux inconvénients de la fragmentation des marchés européens pour le règlement des titres. Elle s’est développée en parallèle des initiatives européennes d’ordre réglementaire (en particulier le règlement européen CSDR) et politique (projet d’Union des marchés de capitaux – CMU – lancé par la Commission européenne en 2015), ces dernières ayant bénéficié du rôle de catalyseur joué par T2S pour l’harmonisation des marchés financiers en Europe.

À fin 2018, 23 CSD européens avaient migré à T2S, parmi lesquels certains CSD établis en dehors de la zone euro. Cette participation élevée démontre les bénéfices attendus de T2S en matière d’efficience du règlement-livraison et d’harmonisation. Comme on l'a vu aux chapitres 12 et 13, T2S n’est pas considéré, au sens du règlement européen CSDR, comme un système de règlement de titres – dès lors que ce dernier est défini comme la fonction de règlement d’un CSD –, mais comme une plateforme technique à laquelle les CSD ayant décidé de participer à T2S externalisent leur activité de règlement-livraison.

En 2001, sous l’impulsion de la BCE, du CESR, et de la Commission européenne, un groupe d’experts du secteur financier a été constitué afin d’étudier le marché européen de règlement de titres, qui apparaissait très fragmenté. Ce groupe a publié deux rapports, en novembre 2001 puis en avril 2003, usuellement appelés "rapports Giovannini" (du nom du président du groupe, M. Alberto Giovannini). Ces rapports ont mis en évidence divers obstacles (ou "barrières") à une circulation fluide des titres financiers entre pays européens, tenant notamment aux règles fiscales, à des aspects juridiques, aux modalités de gestion des opérations sur titres, à des aspects techniques ou organisationnels, etc. (cf. tableau en section 7 du présent chapitre).

A ces "barrières" était associée l’existence d’une multiplicité d’infrastructures. Ce paysage du règlement-livraison européen en général et dans la zone euro en particulier, organisé par marché domestique, fragmenté, et l’absence d’harmonisation emportaient des coûts importants pour l’ensemble des intervenants non domestiques en général, y compris européens, qu’il s’agisse des prestataires de services financiers ou des investisseurs. En dépit de l’existence d’une monnaie unique, ces coûts étaient tels qu’ils entravaient le développement de la circulation transfrontière des titres au sein de l’Union Européenne et plus particulièrement en zone euro. C’est à ce problème que T2S a apporté une réponse.

15. Le collatéral

Le mot anglais "collateral" se traduit littéralement par "garantie" et le terme collatéral, qui désigne ces garanties, est devenu d’usage courant en français dans le domaine de la finance. Pour cette raison, c’est ce terme qui est utilisé dans ce chapitre. Ainsi, le collatéral est constitué de l’ensemble des garanties utilisées dans le secteur financier, à savoir essentiellement les titres et les espèces, mais également des matières précieuses comme l’or, ou d’autres types de biens. Dans le cadre de ce chapitre, il sera principalement question du collatéral titre, qui est celui qui présente les liens les plus forts avec le fonctionnement des infrastructures des marchés financiers.

Le lien entre le collatéral et les infrastructures des marchés financiers est double : d’une part, certaines infrastructures de marché comme les contreparties centrales ou les systèmes de paiement peuvent exiger de leurs participants du collatéral pour assurer leur bon fonctionnement et leur sécurité; d’autre part, les dépositaires centraux de titres jouent un rôle essentiel dans le circuit de mobilisation du collatéral. En d’autres termes, les infrastructures de marché sont à la fois utilisatrices de collatéral et intermédiaires ou prestataires de services dans la circulation de ce dernier. Or, les besoins de collatéral sont importants, notamment depuis la crise financière de 2008, en raison, tant des nouvelles pratiques de marché que des réformes réglementaires visant à renforcer la sécurité du système financier. Face à ces besoins, les infrastructures des marchés financiers, par leur rôle dans la mobilisation du collatéral, sont cruciales : pour améliorer la gestion du collatéral de leurs clients, elles sont amenées à développer des services d’optimisation de cette gestion mais aussi à faciliter la circulation des actifs, notamment en accroissant l’interopérabilité entre les différentes plateformes de gestion du collatéral.

16. Les référentiels centraux de données

Selon la définition du rapport CPSS-IOSCO "Principes pour les Infrastructures des Marchés Financiers" (Principles for financial market infrastructures ou PFMI), un référentiel central de données est une "entité qui administre une base de données électronique centralisée où sont enregistrées les transactions". Les référentiels centraux de données (RCD) constituent à cet égard un nouveau type d’infrastructure des marchés financiers; il est très particulier dans la mesure où il ne traite pas les opérations elles-mêmes, comme les contreparties centrales (CCP) ou les systèmes de règlement-livraison, mais gère et stocke les données relatives aux transactions financières. Bien que préexistants à la crise financière de 2008, les RCD ont vu leur importance croître depuis cette crise, en particulier dans le domaine des dérivés de gré à gré, afin d’en améliorer la transparence.

17. Prévenir les risques dans les infrastructures des marchés financiers

Comme décrit dans le chapitre 5, les infrastructures des marchés financiers jouent un rôle clé dans l’écosystème financier et le financement de l’économie réelle. Leur efficacité a été démontrée en particulier lors de la crise de 2008, au cours de laquelle elles ont pleinement joué leur rôle, agissant, pour certaines, notamment les contreparties centrales (CCP), comme des réducteurs de facteurs de contagion. Le rôle qui leur été confié par les régulateurs s’est accru, notamment s’agissant de la mise en œuvre de l’obligation de compensation centralisée des instruments dérivés standardisés. Ce mouvement, combiné à une concentration naturelle liée au coût d’entrée et aux coûts de structure élevés de ces entités, s’est traduit par une concentration des risques au sein de ces infrastructures.

Ce chapitre s’attache à l’identification et l’illustration des risques portés par les infrastructures des marchés financiers, tels que déclinés dans les Principes CPMI­IOSCO pour les infrastructures des marchés financiers, et aussi au rôle de ces infrastructures dans la gestion des risques. Il met l’accent sur la notion d’interdépendance, les formes que cette dernière peut revêtir, ainsi que le risque systémique. Il aborde enfin les risques très spécifiques liés aux infrastructures offshore, en particulier celles qui traitent une/des devise(s) autre(s) que celle(s) de la banque centrale d’émission de la zone dans laquelle elles opèrent.

18. La surveillance des infrastructures des marchés financiers

Les infrastructures des marchés financiers jouent un rôle pivot pour servir les marchés, les alimenter en liquidité, assurer les paiements et le règlement‑livraison des instruments financiers. Elles contribuent ainsi directement au maintien de la confiance dans la monnaie et les marchés financiers et, plus généralement, à la stabilité financière. Elles permettent enfin la bonne mise en œuvre de la politique monétaire, en rendant possible la mobilisation et la livraison du collatéral titres contre la livraison d’espèces. Les infrastructures ont montré une résilience forte pendant la crise de 2008. Le rôle accru qui a été conféré en 2009 par le G20 à certaines d’entre elles en matière de stabilité financière et de transparence - notamment pour les contreparties centrales et les référentiels centraux de données - a eu pour corollaire une surveillance renforcée.

Au plan opérationnel, les banques centrales sont également directement intéressées au bon fonctionnement des infrastructures, et au premier chef des systèmes de paiement : la plupart des banques centrales exploitent elles-mêmes un système de paiement national, d’autres sont participantes directes à des systèmes. En outre, elles sont elles-mêmes utilisatrices des infrastructures des marchés financiers pour la mise en œuvre opérationnelle de la politique monétaire et la livraison du collatéral (cf. chapitres 12, section 1.5 ; chapitre 13, section 4.3 ; et chapitre 15, section 5). À ce titre, elles ont un intérêt fort au bon fonctionnement de ces infrastructures : par exemple, la banque centrale ne pourra pas fournir de liquidité si les titres admis en garantie ne sont pas livrés.

Dans le cadre de leur mission de conduite de la politique monétaire et de stabilité financière, l’enjeu pour les banques centrales, en tant que "prêteur en dernier ressort", est de ne pas s’exposer à un aléa moral, consistant pour les acteurs de marché à compter sur l’intervention de la banque centrale en cas de défaillance d’une infrastructure ou d’un participant important.

Les banques centrales se sont donc naturellement préoccupées, vers le début des années 1990, des risques systémiques que leur système de paiement national pouvait faire courir. C’est dans ce contexte qu’est apparu le terme de surveillance ("oversight" en anglais) qui, à l’époque, ne reposait pas sur une base légale ni réglementaire. Par effet de ricochet, le périmètre de surveillance des banques centrales s’est ensuite étendu aux systèmes de règlement de titres. Dans la mesure où ces derniers étaient amenés à effectuer le règlement dans les livres de la banque centrale (connu sous le terme de "règlement en monnaie de banque centrale"), pour garantir la sécurité du règlement, dès lors, ces systèmes pouvaient en effet compromettre le bon fonctionnement des systèmes de paiement nationaux. Enfin, les contreparties centrales (CCP), en offrant une plus grande sécurité financière, ont par ailleurs concentré les risques (cf. chapitre 11), le défaut d’un participant ou la défaillance de la CCP pouvant générer un risque systémique. C’est dans ce contexte, et pour des préoccupations de stabilité financière que les banques centrales du G10 notamment ont entamé des travaux avec les autorités de marché, responsables traditionnellement de la réglementation et de la supervision des dépositaires centraux de titres et des CCP, pour participer à la surveillance de ces entités aux côtés de ces autorités. L’écosystème des infrastructures de marché surveillées par les banques centrales s’est ainsi étendu progressivement, pour couvrir à présent non seulement les systèmes de paiement mais aussi l’intégralité de la chaîne de traitement des instruments financiers.

L’attention que les autorités, notamment les banques centrales, apportent aux infrastructures des marchés financiers, est mise en exergue dans le rapport de mai 2005 du CPSS sur la surveillance des systèmes de paiement et de règlement par les banques centrales "Central bank oversight of payment and settlement systems".

La surveillance exercée par les banques centrales sur les infrastructures des marchés financiers a pour objet de s’assurer de l’efficacité et de la sécurité des systèmes existants ou en cours de développement, de les évaluer au regard des normes et des principes en vigueur, ainsi que d’encourager des changements si nécessaire.

19. L’économie des infrastructures des marchés financiers

Au sens économique, les infrastructures désignent, de manière générale, des institutions servant de support à l’échange de biens, d’informations ou de droits entre agents. Les infrastructures des marchés financiers (ci-après FMI pour Financial Markets Infrastructures) servent plus spécifiquement le fonctionnement des marchés financiers ; elles font l’objet d’une attention particulière des législateurs et régulateurs à double titre. D’abord parce ce qu’elles sont critiques pour le bon fonctionnement des marchés financiers et donc le financement de l’économie. Ensuite parce qu’elles présentent des caractéristiques qui empêchent les seuls mécanismes de marché de capturer l’ensemble des coûts et bénéfices associés à leur fonctionnement.

L’analyse économique du fonctionnement des FMI peut largement s’appuyer sur les outils dégagés dans le champ de l’économie des réseaux (particulièrement de communication). Selon Economides, les réseaux peuvent se définir formellement comme un ensemble de liens connectant des nœuds et dont les différentes composantes fonctionnent de manière complémentaire. La définition s’applique aux FMI, qui reposent toutes sur l’établissement de liens entre leurs participants (les "nœuds") via leur connexion à un même système technique, qui permet de fournir le service souhaité. Par exemple, un système de paiement met en relation des participants et la complémentarité entres les composantes du réseau vient de la nécessaire connexion des participants au système pour que le service de paiement puisse être fourni. De manière générale, les réseaux peuvent s’appréhender à travers deux prismes différents : un prisme technique, où ils renvoient à une interconnexion d’équipements "coopérants" afin de transporter des flux (d’actifs, d’informations) et un prisme économique, où ils sont avant tout le support physique d’une intermédiation économique (vision transactionnelle). Ce chapitre tire les conséquences de la nature économique des FMI (I) sur l’organisation et les dynamiques de marché (II) et expose les enjeux de leur tarification (III).

20. Rôle et apport de l’innovation pour les moyens de paiement et les infrastructures de marché

L’innovation technique est constitutive des infrastructures de marché et de la plupart des moyens de paiement scripturaux : pour répondre aux exigences du marché en matière de fiabilité des transactions, de rapidité de l’exécution et de diversification des services, les paiements se sont adaptés et ont adopté de nouvelles technologies. Il s’est écoulé trois mille ans entre l’invention de la métallurgie et les premières pièces de monnaie, mille ans entre l’invention du papier et les premiers billets, vingt-cinq ans entre le premier ordinateur et la compensation informatique des chèques, quinze ans entre l’invention de la carte à puce et les cartes de paiement avec carte à puce, cinq ans entre l’invention des smartphones et la possibilité de les utiliser comme moyen de paiement. La généralisation de ces derniers annonce-t-elle une domination à venir des paiements par leur biais? On peut également s’interroger sur le développement des technologies de registre distribué : porte-t-il en germe une future utilisation significative de jetons (tokens) comme moyens de paiement ?