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Effets des catastrophes météorologiques sur les prix en Outre-mer

Mise en ligne le 12 Mars 2024

En Outre-mer, les catastrophes météorologiques accroissent les prix à la consommation de 0,5 pp après deux mois. Les effets varient entre biens et services : les prix des produits frais augmentent de 11 pp quand ceux des services et produits manufacturés baissent de 0,2 pp. Les ménages modestes sont plus fortement exposés, du fait d’une plus forte part de l’alimentation dans leur consommation. 

Image Graphique 1 :  Observation par satellite du passage du cyclone Gamède au-dessus de la Réunion Thématique Climat Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Gautier et al. (2023), sur la base des données Cross-Calibrated Multi-Platform (CCMP).
Note : vitesse du vent (en mètres par seconde en moyenne sur 6h) mesurée au passage du cyclone Gamède à La Réunion le 25 février 2007. 1 m/s = 3,6 km/h.

Les Outre-mer : un terrain adapté à l’étude des effets sectoriels des catastrophes météorologiques

L’impact des catastrophes météorologiques (inondations, tempêtes, températures extrêmes) sur l’inflation fait l’objet d’une attention croissante de la part des décideurs publics, et notamment des banques centrales (Ciccarelli et al., 2023 ; Kotz et al., 2023 ; Cevik et Tovar Jalles, 2023). Néanmoins, si divers travaux ont exploré les effets de ces catastrophes sur le niveau moyen des prix, il existe peu d’analyses granulaires de leurs effets selon les produits. Or, les catastrophes météorologiques provoquent une combinaison complexe de chocs d’offre et de demande, qui n’affectent pas les prix de tous les produits de la même façon.

Les Départements et Régions d’Outre-Mer (DROM) français constituent à cet égard un cas d’étude particulièrement utile pour comprendre l’effet des catastrophes météorologiques sur les prix. Tout d’abord ces territoires sont fréquemment touchés par des évènements météorologiques extrêmes : depuis 1965, Météo-France y a recensé plus d’une centaine « d’évènements mémorables ». En outre, pour quatre de ces territoires (Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion), l’Insee publie depuis plusieurs décennies un indice local des prix à la consommation, ce qui n’est pas le cas pour les départements métropolitains. Gautier et al. (2023) utilisent la fréquence des évènements météorologiques extrêmes et la disponibilité de données locales de prix dans ces quatre DROM pour estimer plus précisément l’effet de ces évènements sur l’inflation entre 1999 et 2018.

Dans cette étude, nous combinons des données déclaratives sur les catastrophes naturelles (EM-DAT, à l’échelle internationale, et GASPAR, répertoriant les arrêtés de catastrophes naturelles au niveau municipal en France), avec des données météorologiques satellitaires (cf. Graphique 1). La combinaison de ces données vise à limiter certains risques de biais bien identifiés. En effet, les données déclaratives sur les catastrophes naturelles comportent des risques de sur- ou de sous-déclaration, qui dépendent notamment des conditions économiques locales (Grislain-Letrémy, 2022). Elles peuvent ainsi mesurer des catastrophes qui ne sont pas nécessairement liées à des phénomènes météorologiques de grande ampleur. Les données météorologiques sont quant à elles délicates à utiliser car elles ne fournissent pas mécaniquement d’indication sur les conséquences économiques des intempéries : le vent ou la pluie ne deviennent destructeurs que lorsque les niveaux enregistrés dépassent un certain seuil (non-linéarité des effets), et les dégâts qu’ils provoquent dépendent des caractéristiques géologiques et économiques des endroits où ils se manifestent. Nous combinons ces deux types de données pour ne sélectionner, parmi les catastrophes naturelles identifiées, que celles issues d’évènements météorologiques extrêmes.

Une hausse modérée des prix à la consommation, mais des effets hétérogènes selon les produits
 
Les catastrophes météorologiques induisent une hausse temporaire et modérée des prix à la consommation, avec un effet maximal de +0,5 pp au bout de deux mois. Les effets varient fortement entre biens et services. D’une part, les prix des produits alimentaires augmentent nettement comme l’illustre le Graphique 2, en particulier ceux des produits frais (+11 pp après deux mois contre +0,3 pp pour les produits transformés). D’autre part, les prix des biens manufacturés et des services diminuent de façon modérée, d’environ 0,2 pp. Enfin, les prix de l’énergie et du tabac, essentiellement administrés dans les DROM, ne réagissent pas de façon significative aux catastrophes météorologiques. Le détail par produit des données de prix à la consommation nous permet de décomposer totalement l’effet selon les composantes de l’indice de prix (Graphique 3).

Image Graphique 2 : Réaction des prix des produits frais aux catastrophes météorologiques dans les DROM Thématique Climat Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Gautier et al. (2023)
Note : Les prix des produits frais augmentent de 11 pp deux mois après la survenance d’une catastrophe météorologique. La zone grisée représente un intervalle de confiance à 95 %.

La hausse des prix des produits alimentaires est susceptible de refléter avant tout une baisse de l’offre disponible. Nous observons en effet une baisse de l’emploi dans le secteur agricole, et une hausse simultanée des emplois intérimaires dans d’autres secteurs. Ceci suggère une réallocation des travailleurs agricoles vers d’autres secteurs peu qualifiés, possiblement en raison de destructions de récoltes. Alors que les produits alimentaires transformés sont majoritairement importés, les produits frais sont majoritairement cultivés localement : le choc d’offre serait donc plus marqué pour ces derniers, ce qui expliquerait la plus forte réaction de leurs prix. S’agissant des biens manufacturés et des services, la baisse de prix n’apparaît pas liée à une réaction marquée de l’emploi. Ceci est cohérent notamment avec le fait que les biens manufacturés sont en grande partie importés, ce qui suggère une prédominance d’effets de demande négatifs. 

Image Graphique 3 : Décomposition des effets des catastrophes météorologiques sur les prix à la consommation dans les DROM Thématique Climat Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Gautier et al. (2023)
Note : décomposition de la réaction des prix à la consommation à des catastrophes météorologiques en Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion.

Des ménages modestes plus exposés et des effets contrastés du « Bouclier Qualité Prix » 
Comme les effets des catastrophes météorologiques concernent davantage les produits frais, la manière dont ils se répercutent sur les ménages dépend notamment du poids de l’alimentation dans leur consommation. 

Selon l’enquête Budget des familles de l’Insee en 2017, cette part atteignait, dans les quatre DROM étudiés, 21,1 % pour les ménages les plus modestes  (premier quintile de revenus), contre 13,3 % pour les ménages les plus aisés (dernier quintile). Pour illustrer les conséquences de cette différence, nous calculons une réaction des prix spécifique pour chacun de ces quintiles, sur la base de leur panier de consommation caractéristique. Ainsi, pour les ménages du premier quintile, les prix augmenteraient au maximum de 0,6 pp au bout de 2 mois, contre 0,4 pp pour les ménages du dernier quintile. 

Par ailleurs, la diminution tendancielle du poids des produits frais dans les DROM (d’environ 6 % à 2 % entre 1999 et 2018) implique désormais une réaction plus atténuée des prix aux catastrophes météorologiques : si la part des produits frais était demeurée inchangée depuis 1999, l’effet sur l’indice d’ensemble aurait atteint au maximum 0,7 pp au bout de 2 mois.

Enfin, la réaction des prix à la consommation diffère selon les politiques publiques mises en place afin d’encadrer les prix. Depuis 2013, les DROM bénéficient d’un Bouclier Qualité Prix (BQP), fixant, chaque année, un prix plafond pour un panier de biens de première nécessité (dont une part importante de produits frais). Nous estimons que l’introduction de ce dispositif a permis d’atténuer la réaction des prix des produits frais, avec un effet mensuel compris entre 0 et 5 pp sur les six mois suivant un évènement météorologique. Néanmoins, à l’issue de cette période la hausse cumulée des prix est comparable avec et sans BQP, suggérant que l’encadrement des prix ralentit la transmission du choc, mais ne diminue pas l’effet total.